-- SANS TITRE --



Les sans nom sans bouées sans même savoir nager coulent sans remous

Les sans abris sans le sou s’enivrent sans joie

Les sans papiers aux sangs impurs gâchent notre ciment

Les cent familles s’emparent et les sangsues s’empiffrent

Les sans loi contre les sans droit

Les cent lois contre les sans droits

Les cent façons de faire mal sans lever le petit doigt

Laissant la police faire son travail

Les cent jours sans lendemain

Les cent jours sans voir le jour

Les sanglots sans larmes

Les sans ciel


 *
C’est l’autre

549



Dabek recueille l’eau du ruisseau prise à la nuit, oriente ses paumes et observe intensément la lune tremblante posée entre ses mains dans l’eau noire. Puis il disjoint très légèrement ses doigts, il voudrait saisir le moment exact où la lune va disparaître avec l’eau qui sourd, a disparu entre ses mains et le bitume. Il n’y parvient pas. Il recommencera tant que la lune sera là, joueuse, complice, vibrant aussi dans le ciel au-dessus de sa tête.

*
Y-aura-t-t-il une autre nuit ? Il n’y aura pas de meilleur moment.

548



L’arbre désigné est planté là, étrange et familier, généalogique. Dabek s’approche du tronc où les prénoms gravés sont suivis de noms qui lui sont familiers. Un grand silence s’est fait, anormal dans une forêt, qui vient donc sûrement de ses propres oreilles. Il tâte l’écorce blessée par les lames, spongieuse par endroit, malsaine, vibrante parfois, on sent que sous elle prospèrent des cancrelats aux gestes héréditaires. Ses paumes touchent la surface blessée, ses yeux remontent le long du tronc malade vers les branches basses, certaines mortes, où grâce à la lumière rasante du soir Dabek distingue d’autres marques et devine parfois un prénom désuet, reconnait un patronyme que sa mémoire avait jusqu’alors oublié. Il baisse les bras, réfléchit, retourne vers le coffre ouvert de sa Jeep Renegade, y remet la tronçonneuse des Eaux et Forêts, monte dans son véhicule et s’en va.

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Petit, il se le tatouait sur l’avant-bras à l’encre sympathique. Aujourd’hui il porte son nom (et aussi son adresse) dans une poche de son pantalon, sage précaution.

547



Maupassant, fin de vie. Demande à voir une dernière fois son cotre. Le navire est amarré, Maupassant sur le quai, il regarde l’eau, là, ne voit pas Bel ami, à quelques mètres seulement, jouant avec ses ancres. Puis on le ramène en maison de soins où bientôt il mourra sans l’ami, sans l’eau de là.

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Sinon, on ne photographie que des photographies.

546



Je descends du singe, sans réfléchir je claque la portière, le singe s’éloigne sans même demander le prix de la course avec un chuintement de DS 21 et me voici debout aux portes de la vie d’après, celle à laquelle je n’ai jamais cru et à laquelle je ne suis absolument pas préparé.

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On se croirait à Concarneau, en moins organisé. Est-ce qu’ils ont seulement une prise pour recharger un Iphone ? On meurt toujours trop tôt.

545



Dabek s’immobilise, ne sachant plus où aller. Aussitôt cinq horizons qui n’attendaient que sa pause confluencent vers lui, se mêlent, le submergent, formant le réservoir immense dont il ignorait être le bassin et qui prendra dès lors tout son temps  : lac, être là, attendre, faire des vaguelettes qui n'effritent pas les rives.



*

Jeune fille

Le bar vide

L’ennui en guettant les clients

L’attente est une chute en dedans