484


Un temps d’attente, le brouhaha bien reconnaissable : c’est un centre d’appel. Ne pouvant cette fois ci arguer qu’il n’a pas le téléphone, il a la présence d’esprit d’expliquer qu’il n’a pas de mobylette. Profitant de l'habituel désarroi qui suit à l’autre bout du fil, il  raccroche doucement.

*
Le moteur de sa mobylette s’était soudain mis à faire le bruit incontestable d’une sonnerie de téléphone. Dabek avait coupé aussitôt les gaz, ça avait cessé. Les avait remis, ça avait re-sonné. Avait plusieurs fois recommencé la manœuvre, et les sonneries s’étaient enchaînées, comme pilotées par la poignée de gaz. Au bout de 7 ou 8 sonneries, sans vraiment croire en ce qu’il faisait, Dabek avait décroché.

483

L’accès au quai n’a pas changé. Dabek franchit la grille en le portant, descend les marches humides, enfourche son vélo et s’engage dans le fleuve, le buste bien droit et le coup de pédale souple. Le courant est puissant et doux. Tout en visant un point amont de l’autre rive, en léger contre braquage, il penche le vélo vers l’aval comme dans une courbe à gauche pour résister au flux qui l’entraînerait trop bas, technique héritée du temps où il traversait la Durance en canoë. 3 minutes plus tard il aborde ainsi sans problème l’autre rive, 30 mètres à peine en aval de son point de départ. 8 heures sonnent à l’horloge de la rive droite. Il sort de l’eau, descend de vélo, et aussitôt l’envahit ce sentiment déjà ressenti d’avoir à nouveau traversé pour rien.


*
Je ne me sens pas mouillé. Je me lève. Je suis debout en pinces à vélo à côté de mon lit, face à une autre journée vide. Je suis malgré tout satisfait d’avoir retrouvé, d’avoir reconnu, ce rêve de l’autre rive à vélo.

482


J’en ai marre 
De la neige
Je veux 
Des papillons


*
Oiseaux
Flocons de sons
La naissance du jour me cueille
Il n’est pas impossible que la vie soit
ce que nous allons vivre
maintenant

481


Leurs enfants ne bougent plus, les yeux noirs et les paupières qui ne se ferment plus, les lèvres et la langue énormes et desséchées. Le bétail crève sans bruit. Rien de cela n’est dit, mais tout cela est.  Ils viennent à Dabek après avoir tout essayé. Font cercle, assis,  au creux de la dune. Pas une parole. Dabek laisse passer le temps. Ils laissent également, progressivement, passer le temps. Silence. Puis Dabek se met à frapper en rythme, d’un doigt, la paume de sa main, à son rythme, au rythme de sa pluie. Un à un, tous, peu à peu, l’imitent. Le rythme de leur pluie dans la paume de leur main. Dabek a fermé les yeux pour écouter. Ils ferment les yeux. Ils pleut.


*
Un simple souffle à peine perceptible et, aussitôt, la danse générale de l’arbre. Les ailes des chauves-souris qui froissent la soie de l’air. Quelques lucioles. Un oiseau qui sort du ciel. Une famille de hérissons à la queue leu leu. Tu pensais pourtant qu’il ne resterait rien de cette journée où tout était écrasé de chaleur. Jamais tu n’aurais cru qu’il y avait en ce monde tant de choses, comme cela, qui n’attendaient que toi pour naître.