480


A celui qui est venu nous vendre sa machine
Nous nous sommes tus
Puis nous lui avons montré l’océan
Nous lui avons demandé quelle était la machine qui aurait pu fabriquer la mer, l’écume, le vent
Si c’était sa machine.
En partant il nous a laissé une revue
Avec de jolies bielles
Avec de jolies femmes
Avec moins de certitudes qu’il n’en avait
En venant.

*
Le monde est laid, vulgaire, injuste, barbare. Après des années passées face à la mer, on sait ce qui dépend de soi, ce qui dépend de la nature.

479


Aujourd’hui j’ai retrouvé mon âge, mon nom et mon adresse dans les poches de mon pantalon. J'ai compris que pendant un temps ma vie s’était déroulée à mon insu, dans un  endroit différent où j'aurais bien pu ne jamais remettre la main sur moi. J'ai su. Je me suis pris dans mes bras comme un petit enfant, et je me suis bercé. 

 *

 Je me suis ménagé dans le passé, je ne comprenais pas que c'était à cause de cela : le présent me fait bien plus peur aujourd’hui que l’avenir ne m’effrayait avant.   

478


Travail-subordination-normalité-entregent, Dabek a peu à peu gravi tous les échelons de la hiérarchie et s’apprète à découvrir enfin un nouveau monde par delà la muraille qui soutient l’échelle lorsque, vieille trentenaire lasse teinte en blond, une DRH munie d’une gaffe repousse fermement depuis là-haut l’échelle entière, puis s’éloigne vers d’autres tâches. Dans son vol sur le dos et les yeux vers le ciel, avant de s’écraser à terre où l’accueilleront les conseillères en tailleurs gris du pôle, Dabek a le temps d’apercevoir, majestueux et cendré, un héron aux ailes incurvées sur le ciel comme sur deux immenses épaules qui glisse sans effort vers l’autre côté du mur.

*
Le propre de l’homme c’est qu’il peut toujours tomber plus bas, disait Louis Aragon qui en savait quelquechose.