297

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J’ai vu tomber des flocons qui m’ont fait penser à la neige qui tombe et je me suis aperçu que cette neige là tombait parfois peut-être, tomberait demain déjà, au-dedans de moi, dans de grandes étendues chaudes comme lorsque l’on regarde la neige tomber au dehors à travers une vitre depuis le bureau où l’on écrit avec sur les genoux un plaid.


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Epars, secs, ces flocons-là en touchant le sol disparaissent sans laisser de trace, comme s’ils n’étaient jamais venus, et reviennent aussitôt par le haut en un aplomb un peu décalé. Errent vers le bas, touchent, disparaissent.
Alors, je l’ai écrit.


296

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Dans mon verger les arbres
Certains font des fleurs
Certains font des fruits
Partout la lumière et les branches
La tranquillité et l’ennui
Dans mon verger les arbres

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Au pied du pommier
Endormi dans ma barbe
Je mourrai sur un banc
Sous une dentelle de rosée

295

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Si à la descente du train au moment court du tri les allemands avaient serré la main de chacun (main carrée calleuse, travail ; main blanche compliquée, intellect ; autres mains restez également tout nus dans le rang) Primo Levi n’aurait pas pu décider de nous infliger l’immense peine, l’impardonnable regret, l’abîme immense, de son suicide.

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Puis, sans réfléchir aux conséquences irrémédiables de son acte, il sourit. Beau ? Non, il n’était pas beau. Un visage d’homme, sans plus.

294

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« Chacun faisait son travail, et à la fin on est tous morts »

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A Sobibor le principal commerce juif, avant, était de vendre des harengs en tonneaux. Au début il y a eu des fosses communes, puis avec l’industrialisation de la solution finale on a demandé aux vivants de déterrer les morts : « Les cadavres étaient disposés comme des harengs, tête bêche ».

293

A la fois elle me surprend chaque jour davantage et ressemble de plus en plus à sa mère.

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Malencontreuse sortie de chasse en solitaire hier pour un sexagénaire ardéchois. L’accident s’est produit vers 8H45, mas Guillaumont, sur la commune de Joyeuse. Alors qu’il venait d’abattre un faisan et voulant ramasser son trophée, le chasseur a posé son fusil au sol. Son chien a touché l’arme et la détente ; le coup est parti… des plombs de calibre 12 en plein dans le pied ! Blessé il a été évacué à l’hôpital d’Aubenas.

292

« Le brigand », de Robert Walser. Livre sans titre, sans aucune mention nulle part même par son auteur, exhumé et restauré cinquante ans après. J’en relis à l’infini chaque phrase, chaque mot, chaque scène imbriquée dans toutes les autres scènes, et malgré tout je trouve une nouvelle fois le courage de ramener tout à moi. Je me dis qu’après ma mort d’autres merveilles écrites de mon vivant par des types dont on n’a pas idée seront ainsi découvertes, que pas plus que d’autres je n’aurai su sentir, lire, écouter. C’est là le véritable drame de la gloire posthume.

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Lors d’une battue, un drame a eu lieu samedi après-midi à Saint-Julien-Molin-Molette (Loire). Un chasseur, âgé de 46 ans, a été tué à la suite d’un coup de fusil reçu en pleine tête. La partie de chasse avait lieu dans le petit hameau de « Combenoire ». Une enquête de la gendarmerie est en cours pour connaître les circonstances exactes de cet accident.

291

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Si l’on supprimait maintenant
Les paradis fiscaux
Que ferais-je de l’argent
De mes impôts ?

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« Les patients sont une exception à nous même », dit mon salaud de psy.

290

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Nous n’avons jamais accès à nos rêves, simplement au récit que nous en faisons, que nous partageons rarement.


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Cette nuit j’ai couché avec A. Je n’en avais pas spécialement le désir, elle non plus. Certaines zones plus fessues que j’aurais cru. Ensuite elle avait l’air très soulagée, elle m’a chanté « je voudrais te dire que je m’en vais », et j’ai compris au réveil que c’était là le message essentiel du rêve.

289

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Il est sans abri. Je suis sans le sou. Vous êtes sans droits. Il est sans joie. Ils sont sans nom. Il est sans visage. Tu es sans passé. On est tous des sans abri sans amis. Tu es sans visage. Vous êtes sans droits. Ils sont sans droits. Tu es sans droits. Vous êtes sans le sou. Notre sang est impur. Je suis sans lendemain. Ils sont sans abri. Vous êtes sans abri. Il est sans le sou. Ils sont sans le sou. Nous sommes sans droits. Ils sont sans papiers. Vous êtes sans passé. Il traversent sans bouée sans savoir nager ils coulent sans remous on est sans remords. Il est sans papiers. Vous êtes sans lendemain. Je suis sans droits. Nous sommes sans visage. Nous sommes sans le sou. Il est sans nom. Tu es sans abri. Je suis sans le sou. Je suis sans amis. Je suis sans papiers. Vous êtes sans passé. Vous êtes sans abri. Vous êtes sans papiers. Il est sans joie. Nous sommes sans le sou. Nous sommes sans passé. Nous sommes sans visage. Ils sont sans lendemain. Je suis sans le sou. Nous sommes sans le sou. Ils sont sans joie. Nous sommes sans nom. Nous sommes sans abri. Il y a des sangsues. Elles s’empiffrent. Je suis sans lendemain. Vous êtes sans nom. Je suis sans amis. Tu es sans nom. Vous êtes sans passé. Ils sont sans passé. Il est sans passé. Je suis sans visage.


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Ils sont sans abri. Il est sans amis. Tu es sans papiers. Je suis sans droits. Ils sont sans foi ni loi. Tu es sans amis. Tu es sans nom. Je suis sans nom. Tu es sans joie. Il est sans nom. Je suis sans lendemain. Il y aura sans chichis sans manières tristement comme toujours cent jours sans lendemain. Il est sans joie. Il est sans amis. Vous êtes sans lendemain. Vous êtes sans lendemain. Je suis sans nom. Ils sont sans nom. Ils sont sans amis. Tu es sans lendemain. Ils sont sans lendemain. Nous sommes sans amis. Nous sommes sans droits. Je suis sans papiers. Tu es sans visage. Je suis sans abri. Il est sans joie. Tu es sans joie. Je suis sans abri. Il est sans passé. Tu es sans passé. Nous sommes sans visage. Il est sans passé. Vous êtes sans droits. Nous sommes sans droits. Nous sommes sans joie. Tu es sans visage. Il est sans abri. Ils sont sans visage. Vous êtes sans amis. Vous êtes sans abri. Ils sont sans papiers. Ils s’emparent, ils sont à l’abri. Vous êtes sans papiers. Ils sont sans papiers. Il est sans amis. Tu es sans papiers. Nous sommes sans lendemain. Il est sans abri. Tu es sans visage. Nous sommes sans droits. Nous sommes sans nom. Il est sans papiers. Ils sont sans joie. Ils sont sans lendemain. Je suis sans joie. Ils sont sans joie. Je suis sans le sou. Tu es sans amis. Vous êtes sans le sou. Tu es sans amis.

287

Facel-Vega ; Coppi-Bartali ; Michel-Albert ; Petit-Villeblevin ; RN7-Platanes ; Camus-Gallimard ; 15 m entre la partie arrière de la voiture pulvérisée et son tableau de bord ; 4/01/1960-13H55 ; fin brutale de l’avant post-modernisme.

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Ecrire cinquante ans après une histoire où la femme de chambre serait la maîtresse du fils de famille né d’un second lit qu’elle referait chaque matin.

286

On passera nombreux côté pauvres. Il y aura des mutations indésirées. Les nuages feront de l’huile. Sans cesse ce sera carnaval. On fera des rencontres stériles. Beaucoup de maisons neuves resteront vides. On interdira le port du capuchon. Le cancer n’était qu’une métaphore. Les proches seront loin. Certaines prédictions s'avèreront fausses. Nombreux seront radiés. On se sentira bien dans la salle de bains. On s’aliènera à des appendices. L’eau montera. On gazouillera comme jamais jusqu'alors. Les glaciers rendront plein de viande. On saura qu’on a tout raté. On s’enivrera. Se produira alors quelque chose d’inespéré. Ce sera la nouvelle année.

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On m’a offert La princesse de Clèves
Sans la Rolex qui va avec
Ca m’a fait penser à Houellebecq
A ses rapports avec Geneviève