388

Confirmation Dabek désormais est riche, très riche, le banquier vient de lui confirmer que le chèque avait été encaissé. Il sort dans la rue, dépose pour une fois deux euros dans la sébile d’un mendiant en faction. Puis il rebrousse chemin et reprend sa pièce. Il est désormais très riche.

*
Il avait envie d'être utile, toute sa vie il avait eu envie d'être utile et depuis qu'il était riche l'envie était devenue encore plus forte.


[Et encore ceci)

387

Ours à Berlin, Léopard à Locarno, Lion à Venise, le voilà désormais encagé à Téhéran comme un Hamster. Pour se hérisser c’est ici.

*
Ici et maintenant ne sont là que pour nous tromper

386

Accorder un à un ces millions de flocons pour que derrière la vitre ils ralentissent le monde, Dabek se sent vaguement complice de ce miracle saisonnier.

*
Il enjambe les parois et se plie à l’intérieur du carton suivant un protocole lent et efficace. C’est dans cette boîte qu’il passe désormais l’essentiel de ses après-midis. Il a choisi sa trappe. Il s’y endort aussitôt. Il fait des rêves blancs et d’oiseaux, les parois de carton l'enserrent comme il convient dans la chaleur du Godin.

385

Ne pas tricher,
Raconter des banalités

*
Enfance,
Déjà la mort s’avance

384

*
Je n’achète pas la première fois
Je n’achète pas la seconde fois
Je n’achète pas à crédit
Dans les cartes de crédit je troue des confettis
Dans les cartes de fidélité je troue des confettis
Gros comme des jetons
Avec un emporte pièces
Et avec eux je fais la fête à l’économie de marché

*
Les distributeurs automatiques n’emportent pas mes pièces
Je ne leur achète pas la première fois
Je ne leur achète pas la seconde fois
Et si finalement je le fais
Je paie avec mes confettis
Gros comme des jetons


[le texte complet ici]

383

Depuis la fin de mon stage d’observation de une semaine chez un arracheur de dents, il parait que j’ai un visage effrayant, il parait que je ne regarde plus que la denture des gens lorsque je leur parle.

*
"Patti pense que tu es un garçon bien agréable. Elle me demande souvent de tes nouvelles."
-          "Ne lui dis pas que je suis ici", le prie Dabek en se souvenant de la plante de ses pieds froide et dure, où étaient tatoués en long le mot « bonheur » et le mot « performance ».

382

(un autre regard sur le déambulateur)
(la sélection de Télérama)
 (le retour des beaux jours)
(les sièges chauffants)
(la relecture des grands classiques en gros caractères)
 (un bilan personnel lucide et compassionnel)
(la fréquentation des enfants de moins de 6 ans)
(la chorale « à choeur joie »)
(Le tai chi en piscine couverte)

*
Apprendre à durer, à se séparer de ses organes (tous ne peuvent être remplacés) et de ses vies (sociale, professionnelle, sexuelle, artistique, sportive, familiale). Se dépouiller peu à peu de toutes ces personnes dont nous étions composés et qui nous encombraient. Parvenir enfin, tout à la fin, à être ce qui reste de quelqu’un. 


[re-publication de "Chaque soir, des steaks" sur la Revue des ressources, ici]

381

Je demande ma route à un paysan, puis je le prends en photo et il me donne des graines de tournesol. Plus loin, une femme enveloppée d’un foulard vert me croise de l’autre côté de la rivière, elle m’a regardé tout du long et on a ralenti tous les deux. Les filles de cette rive sont fragiles et volages, celles de l’autre bord sont fortes et prudes. Ou alors l’inverse ? Je ne sais plus, et cet autre paysan que je questionne un peu plus loin semble avoir été longuement formé pour m’embrouiller encore. De toute façon il n’y a pas de pont.

*
En chemin c’est immédiatement qu’il faut plonger, ou jamais.

380

Promenade dans la neige. Dans une courbe, une voiture s’est mise au fossé. L’homme s’épuise à tenter de la ramener sur la chaussée, invectivant la femme au volant qui semble ne rien entendre. Les roues patinent avec fureur, en vain.
- Courage mon gars, ça va le faire ! Dis-je en passant.
Et voilà sur mon dos le couple instantanément réconcilié.

*
La forme la plus efficace de générosité, celle que je pratique, n’est généralement pas la plus visible ni la mieux comprise.

379

Il manque le godet ! Constat désappointé entendu cent fois ce jour là, et l’homme reposait tristement l’excavatrice et reprenait son chemin dans les travées d’un pas alourdi. Il manque le godet ! Et combien de fois n’a-t-il pas été soulevé, ce couvercle de boite de chaussures Adidas, dans l’espoir d’y découvrir tout autre chose (mais quoi donc ?) que les quelques Clippos qui s’y trouvaient ?

*
Contrairement à la veille au salon du livre de Romans, et grâce aux Barbies, les ventes à la brocante du sou des écoles ont été suffisantes pour financer l’andouillette frite arrosée de vin blanc. Cela m’a paru très satisfaisant, mais aujourd’hui, deux jours plus tard, je m’en rends compte vraiment et pour longtemps : il manque le godet !

378

Il  préparait une tentative de record de vitesse à vélo, record officieusement détenu par Al Abbott, un américain, à 223.466 km/h. Le vélo possédait un gigantesque plateau lui permettant un développement de 27 m. La voiture, une Porsche 935 Turbo, était conduite par Pescarolo. L'arrière étrange était destiné à abriter le cycliste ainsi qu'à créer un effet d'aspiration. A l'époque, les souffleries n'étant pas disponibles, Dabek s'entraînait à supporter les turbulences aériennes en se tenant au plus près des voies de chemins de fer lorsque passaient les trains rapides. C'est par l'un d'eux qu'il a été happé, en gare d'Auxerre, il est mort sur le coup, avant d'avoir pu faire sa tentative.

*
Je rappelle un nouvelle fois le principe de la selle Proust : le bec de selle est supprimé de manière à éliminer toute pression sur la zone du périnée et sur les testicules ; l'appui se fait sur les ischions; la selle pivote pour accompagner le mouvement des jambes. D'une manière générale je dirais que c'est au feeling qu'il faut se poser dessus. Il faut écouter son corps au lieu de trop faire confiance au centimètre.

[poèmes plagiaires n°223 et 130, inspirés par « Lepassionné » et Damien Ruiz]

377

Rythme sourd
De l'amour
Sous les draps :
Moi, moi, moi, moi, moi

*
Demain
Au premier soleil
Un wagon de moins
Au train train

376

(Sans titre)
Les sans nom sans bouées sans même savoir nager coulent sans remous
Les sans abris sans le sou s’enivrent sans joie
Les sans papiers aux sangs impurs gâchent notre ciment
Les cent familles s’emparent et les sangsues s’empiffrent
Les sans loi contre les sans droit
Les cent lois contre les sans droits
Les cent façons de faire mal sans lever le petit doigt
Laissant la police faire son travail
Les cent jours sans lendemain
Les cent jours sans voir le jour
Les sanglots sans larmes
Les sans ciel
C’est l’autre

*
Dabek se souvient de ses jeunes années d’après l’adolescence. Il préférait de loin le moment du partage à celui du cambriolage.

375

*
Après Freud, Picasso. Les « grands » hommes du début du vingtième ont la vie dure ces temps-ci. Mais qui d’autre que lui a su peindre des stukas en piqué et stridents sous la forme d’un cheval effrayé hennissant vers notre gauche ?

*
Je repense au plus tardif Andy Warhol, que je n’ai pourtant pas personnellement connu. Suicide. Parvenu au faîte de la puissance et de la gloire, il n’y avait plus personne d’autre que lui pour oser lui faire ça.
Le grand homme est celui qui déboulonne sa statue de son vivant.
(Andy est en réalité mort des suites d’une opération, me dit-on. Ah !)

374

J’écrase mon mégot sur la peau du miroir, il s’enfonce dans mon reflet en se tordant à peine. Je ne sens pas la douleur mais l’odeur de chair grillée, je regarde la fumée noire qui se forme et s'élève, j’attends qu'elle sorte du cadre pour soulager la pression et aller me soigner. Je n’ai pas mal. Je n’ai rien dit, rien montré, rien lâché, et cependant j’ai honte. Du doigt je tapote la brûlure, tap tap, tap tap, comme ça, puis je retourne dans la grande pièce, je sors le miroir, je l’allonge sur la terrasse sous les doigts de la pluie, bruit patient dans l’après-midi, tap tap, tap tap sur cette aire martyrisée où il y a encore un instant (je me suis maintenant allongé à ses côtés sous une couverture de survie où viennent déjà chuchoter des limaces) je me trouvais aussi.

*
Bien qu’écrites de ma main, les lettres que je retrouve dans ma boîte au retour de mes itinérances ne sont que de trop longues suites de mots insensés.

373

En ce lendemain de Toussaint (où elle a tenu à nous servir une « boite chaude » !), elle récupère au cimetière les fleurs artificielles qu’elle avait déposées la veille et qu’elle stockera au grenier jusqu’à l’an prochain, si tout va bien.

*
Panique de la disparition d’un être. Comment va-t-il faire sans moi, dans l’au-delà ? Comment je vais faire ici, sans lui ? L’horreur du monde semble accessoire face à cette douleur là.

372

Barbelés, aller dans le pré d’à côté. Je passe par-dessous en rampant, je me redresse. Cri bref d’un oiseau qui donne le tus. Un souffle de vent vient me renifler comme en passant. Quelques feuilles, drones subtils, tombent dans ma zone en tournoyant comme des turluttes. Un rapace ostensible se laisse aller de son perchoir sur le toboggan de l’air, ample geste du revers de la main sur le linge fraîchement repassé.  Quelques pas. La lumière a changé. Je suis dans un autre espace, ouvert et séparé, de l’autre côté des barbelés. 


*
Idée saugrenue, citadine, la nature nous ferait des signes. 


371

*
Ne jamais lui dire 
Au funambule aux pieds nus
Qu’il est sur le fil du rasoir

*
Accepter l’aliénation totale et non négociable à un facteur contingent et souvent pénible : ayant perçu la proximité entre l’amour transi (ridicule) et la maladie grave (fébrilité), Dabek en dernier recours en choppe une belle, une grosse, une longue et à pronostic réservé. Mais l’Autre ne vient pas à son chevet. Non, elle ne viendra pas. Dabek se désentube, se lève, s’en va. Il est guéri. Miracle de l’amour.


370

*
Quand il était petit, les combats à l’épée, Dabek croyait qu’il fallait toucher l’épée de l’autre.

*
Pour éviter la première gifle, il tendait tristement l’autre joue.

369

*
Je vous écris du brou des doigts, le vent fou a gaulé les noix. J’étais sorti glaner des pommes, c’était sans doute imprudent : j’avais oublié la réforme, celle qui a détraqué le temps. Un vent du nord plein d’impatience giflait les arbres et les gens. Dans les rues s’étalait la souffrance en longs cortèges intelligents. Ce qu’on découvrait ainsi en marchant avait de quoi plomber l’ambiance : l’Etat ces derniers temps en France est devenu l’ennemi des gens.

*
J’étais allé glaner des pommes 
J’ai ramené une grosse de noix
Il faut prendre ce que donne l’automne 
On l’inventera sous nos pas

368

Chercher le sommeil dans ce canapé même pas convertible sous un plaid en macramé alors qu’à côté il (mon pote Seb) et elle (rencontrée dans une soirée où elle a absolument tenu à me lire ses poèmes) s’activent, ce ne serait pas si grave : je m’endormirais avant eux. Non ce qui m’assure l’insomnie c’est ce sentiment absolument pas paramnésique d’avoir déjà vécu un certain nombre de fois une scène similaire et d’être une fois encore du côté des poètes.

*
On finit par évoluer vers la situation dans laquelle on se trouve. 

367

*
« Dieu vient vite à l’esprit face à l’océan, face à la lande»

*
Face à certain déhanchement, aussi. Dabek ayant enchaîné en proposant de lui faire un enfant (du bon dieu), elle lui présenta un devis d'enfer.

366

*
Je suis allé à la rivière. J’ai dérangé un héron imbécile et cendré qui s’est envolé de l’autre côté. La rivière crée sans cesse une autre rive. La rivière crée bien nettes une droite et une gauche, et aussi - quoique plus confusément-  un amont et un aval, un avant et un après. La rivière crée du doute. Importance du mot rivière dans le mot guerre. Importance du mot gué, où j’ai mouillé mes pieds. Depuis sa planque le héron sans doute me regardait m’avancer.

*
Chacun se décide chaque matin à se lever, à se mettre en route. Nous avons le poids de l’avenir qui s’ajoute à celui du passé et enfonce nos pas sur cette terre alors que nous voudrions enjamber de l’air et marcher comme tout homme en direction du ciel. Au lieu de cela nous longeons le cours d’eau jusqu’à son embouchure.

365

Onaniste de sa baignoire.
Le robinet ! La bonde ! La chaînette ! Le gant séché humide au pli ! Le trop plein ! La savonnette ridée ! Le rideau déperlant ! Le tuyau de douche ! Les traces sur l’émail ! Le Dop ! Le mitigeur !
Dabek finit par tremper dans son jus.

*
Petit garçon à l’heure du conte. Trop petit sans doute, mais maman avait un amant. Aujourd’hui fait pipi chaque fois qu’il lit.

364

*
J’écoute ta voix portée par le vent chaud des ondes. Tu joues la comédie de l’artiste sur le ring. Tu boxes, en aveugle dis tu, un adversaire griffu et supérieur en nombre. Tu feintes, esquives, combat contre ton ombre, pour atteindre le gong en évitant ses swings.
Pierremichonnades et bergouniouseries, vaste rigolade, grosse fumisterie :
Tu n’es entre ces cordes que pour tromper ton monde, le combat est ailleurs, ici, sur les ondes. Tu seras plus tard exhumé des archives de l’INA : il y aura la foule, on te resservira, rien n’était arrivé avant que tu ne tombes.

*
L’artiste avisé
Prend les devant
Il construit sa postérité
De son vivant

363

Mon enfance m’est revenue devant le monument aux morts, justement.
Le poilu a été repeint en bleu horizon, le visage rose bébé, la moustache
J’en aurais rêve de cette moustache charbon
Tout à l’heure pour toujours manqueront mes parents 
Quand je pousserai 
La porte 
De la maison
Puis il faudra bien repartir pour de bon
Des gamins feront coup franc dans une cour sans ombre
Aux arbres débutants.

*
Ce qui est arrivé un jour
Est là pour toujours


(Merci à Michel Quint)

362

Quand Dabek tombe par hasard sur un livre dans son bar, c’est rarement du Brautigan. Mais quand ça arrive, quelle coïncidence ! N’y tenant plus, il court alors à sa bibliothèque, en extrait un vieux Dylan Thomas single malt déjà largement entamé, et s’en sert une bonne rasade.

*
« Non, ce n’est pas la pluie qui tombe, c’est l’humidité qui sort du cœur cassé »

361

Pendant que leurs queues battent l’air comme les bras des enfants, les huit chevaux de bois échangent de longs hochements de tête. Dabek marche à côté du manège, le monde tourne sous ses pieds comme un gros ballon sous l’acrobate qui recule.

*
Ayant perdu son ombre dans la foule, il l’imagine qui s'éloigne aux bras d’un inconnu trop grand pour elle et ne la voit pas qui lui fait signe de les rejoindre

360

Solitude.
Le miroir seule manière
De se voir

*
Inquiétude.
Il observe chez ses enfants
Les gestes de la relève

359

*
Suceuses soubrettes string salopes soumission
Ce soir séance sexe sans satisfaction

*
Il a abandonné le sexe il y a de nombreuses années, le jour où il a découvert ce qu’il aimait vraiment

358

« Allez papa »
« Vas-y Mickey »
« Ca va le faire »
« Plus que deux bornes »

*
Pour que sa littérature obscure
Touche un plus large public
Dabek tout l’été peinturlure
Les grands cols mythiques

357

Ca ne se voit pas, ça ne se dit pas, ça se devine à peine, ce n’est peut-être qu’un rêve, c’est sans espoir, ça finira brisé, ça sait que la machine broiera les grains de sable comme de blé, ça entend que ça ne fait qu’affaiblir la cause et que ça ne propose rien,
Au cœur du pré quand même ça résiste
 Parce que l’autre est le soleil, parce que tout n’est pas marchandise, parce qu’avoirs et falloirs peuvent être mutualisés autrement, parce que la liberté n’est pas une propriété barbelée, parce que le contraire de la violence c’est la pensée, parce que c’est simplement juste, parce que ça n’a pas besoin d’explications,
 Au cœur du pré ça résiste

*
C’est parce qu’au cœur du pré ça résiste
Que le coquelicot existe
Et que le pré existe
C’est ça qu’il faut regarder
C’est ça qu’il faut montrer


(suite et fin des n° précédents)
lire le texte complet

356

Contre la barbarie qui se prévaut de sa propre barbarie, contre la violence économique mondialisée, contre la stigmatisation de ses victimes, contre la libre circulation vers le pays d’origine, contre le mensonge institutionnalisé, contre la baisse des impôts, contre l’enfance enfoncée, contre les shampoings pour cheveux normaux, contre le mieux disant le pire, contre le grand marché du gré à gré, contre le pré carré, contre le à tu et à toi, contre TINA*, contre les colons, contre « Tous les autres le font », contre la Croissance son église et ses prêtres, contre l’idée de la part de gâteau, contre les trajectoires individualisées / les contrats de progrès, contre les opérations de maintien de la paix,

*
Ca résiste


* « There is no alternative » : y’a pas le choix. TINA est aussi le nom d’une excellente revue de littérature.

(suite des n°353 à 355)

355

Ce voyageur qui protège l’expulsé, ce policier qui déchire ses papiers, ce visage qui rigole face à l’autorité, ce type qui vous lit des poèmes, ce paysan qui diffuse des semences interdites, cet anonyme qui parle pour mieux vous écouter, ce caddie sorti vide du supermarché, ces nomades qui snobent nos aires spécialisées,

*
Ca résiste




(suite des 353 et 354)

354

Maintenant regardons mieux.  Un médecin conteste la carte Vitale, un ouvrier décline les heures sup, un salarié refuse d’être noté, un artiste poursuit son travail méprisé, un chômeur ne se laisse pas radier, un fonctionnaire objecte, une queue demande son avoir en liquide à la banque, une mère renâcle à envoyer ses enfants se faire vacciner

*
Ca résiste


(suite du n°353)

353

Au bord du champ de maïs de soja de sorgho de blé standardisé normalisé engraissé désherbé, le coquelicot résiste. Normal, sa constitution le lui permet. Il y a des gens comme ça. Ca énerve un peu, mais c’est pas bien grave : ça ne renâcle qu’en lisière. Même, ça donne de la couleur, ça fait joli quand on passe en voiture, et sur les boites de muesli.

*
Maintenant regardons le cœur du pré, du champ de blé : épis bien alignés, calibrés, pétant de santé, rien d’autre que du bon grain.

(à suivre)

352

« Grande Synthe 2002 », huile de vidange sur carton recyclé, triptyque :
1- L’épouse du chasseur. Moi je n’ai jamais eu d’ennuis personnellement avec les magrébins, mais je connais plein de gens qui en ont
2- Mohamed. Il court il est mortellement touché, l’agonie a commencé, « Que se passe-t-il mon frère mon frère ? », d’ordinaire on est assassiné par quelqu’un qu’on connaît
3- Réactions pleines de dignité. La procession est venue devant le domicile de la famille, la foule immense s’est mise à prier, on entendait la mère pleurer sur son balcon

*
A la télé
Les jeunes agressent les gens
25 % de chômeurs à Grande Synthe en 2010
Installons des caméras de surveillance

351

« En dernière analyse, c’est la qualité d’exécution qui tranche », dit l’artiste avant de déclencher le geste compliqué de son bras droit prolongé de la hache qui vient trancher son cou posé sur le billot

*
Sauf à rester totalement immobile chacun devient contorsionniste et son propre bourreau.

350

Je suis noir, je suis pauvre, je n’ai pas d’identité, j’ai brûlé mes papiers. Je m’appelle Moussa, ce n’est pas mon prénom. Je viens du Sénégal, je vis sans traces. Un jour j’ai traversé l’Atlantique dans une pirogue, c’est pour ça. Je lis les romans de Wendy Guerra sur Cuba. Ils sont beaux. J’ai vu sur le Net, c’est la plus belle femme du monde. Je vais à une séance de dédicace. Je suis le seul noir ici, Wendy a la peau très blanche. Je la regarde, elle me regarde, elle sent que je l’aime, je sens qu’elle est triste. Au moment de la dédicace je lui demande d’écrire simplement une adresse, mon adresse. Elle signe « Fidel », elle dit qu’elle viendra.


&
Deux mois. Je l’attends. Elle ne vient pas. Des policiers viennent, mon nom mes papiers. Je m’appelle Fidel et je viens de Cuba, mes papiers c’est le livre. Ils le prennent.


(Re création d’un texte de Pierre Cherruau, « Adouna », Zaporogue #7)

349

Dans la cour carrée les prisonniers tournent en silence et en rond. Dans les miradors, les sentinelles, c’est leur seule distraction. Le fou ne sortira pas. Pour toujours il est assis contre le coin le plus sombre – il y en a toujours un – de sa cellule

&
Il a dérobé une porte que jamais on ne retrouvera

348

Marée d’équinoxe. La vieille quille couverte de vieilles coquilles s’essaie à nouveau à la danse de l’eau sur sa peau


&

La marée basse découvre une grosse conque. Je la porte à mon oreille. Le brouhaha, c’est moi.

347

On a bougé
Rien n’a bougé
On a acheté
Que reste-t-il ?
On fait quelques pas pour s’accorder
Aucun écho
On a nos alliances
Elles connaissent d’autres peaux
On a fait des enfants
C’est cela. Mettre bas.
On a soulevé des montagnes
J’aurais voulu un jardin…
On soigne notre intérieur
…avec des allées de gravier
On est dans l’écart qui nous sépare
Bonne idée. Mais trop tard.
Je pars
Non. Reste.

(Poème plagiaire n°4728-18, inspiré par "On", de Anael Chadli)



&

Tu es venue enfin
Tu te déshabilles enfin
Tu es nue enfin
Tu restes enfin
Je m’endors sur ta robe




346

*
Chaque jour dix fois peut-être elle entrouvre la porte sur la pièce astiquée encaustiquée où il n’y a jamais rien eu que des meubles, se penche pour regarder sans entrer puis referme la porte, le visage malheureux et rasséréné. Quelle souffrance quel effondrement quel raccourci vers la mort si un jour assis dans le fauteuil de cuir noir le dos tourné derrière sa pipe se trouvait là l’homme dont l’absence mille fois confirmée mobilise depuis trente ans chacun de ses muscles chacun de ses traits chacune de ses pensées chacun de ses jours.

*
Comprendre que tout est trappe, que tout ce qui n’est pas trappe en est le fond à recoins.

345

J’ai vu ce banc dans ce lieu calme. Je me suis vu assis sur ce banc, face à ce petit lac posé par un creux de terre et beaucoup de calme au cœur de la forêt. Je me suis assis sur le banc et j’ai longuement observé tout ce que cette immobilité faisait bouger.

&

Plus tard je suis reparti ; tout était bien différent. Je ne sais pas précisément ce à quoi j’avais pensé, mais je l’avais pensé très fort.

344

Hommes faits
Mégères à l’étage du dessus ou bien tenant la caisse du magasin
L’un boucher l’autre est boulanger
L’un en sueurs farinées l’autre en tablier rouge
Il se regardent d’amour sur le trottoir d’en face.
On est en 1950, par là
Les gens jasent jaune dans le petit village
Les épouses encaissent.
Le dimanche ils vont pêcher ensemble en tandem dans les plis de l’Oise
Lui devant lui derrière
Pédaler tâter le goujon
Parfois s’isoler derrière un bosquet d’aulne
Les épouses sont seules à la messe et le sermon à double fond.


&

La roue avant éclate dans la descente de Saint Leu
Il y avait du verre
Lui trop lourd devant lui trop fluet derrière
Des freins insuffisants
Il y a eu un bel enterrement et un bon soulagement
Les deux veuves
Ont fait réparer le bicycle
Ont mis de gros pneus ballons
Et s’en vont pêcher le dimanche au bosquet
Dans le soleil devant les rayons qui brillent

343

*
Une énorme duchesse gémit, lutte et chante. Avachie dans son lit elle chante qu’elle aime ceux et celles qui l’aiment dans son énorme lit, refrain elle fait des pieds des lèvres et des mains, couplet de ses mains armoiriées elle offre et cache ses seins telluriques aux tétons aréolés du suc de nombreuses victoires, couplet sa chemise de nuit a pu servir de tente à de nombreuses grandes personnes, couplet interrompu le lit s’écroule avec un cri de col du fémur qui casse, les domestiques viennent la relèvent la rallongent la rajustent, elle dort elle ronfle en murmurant des mots gallois.

*
Couchés au pied du lit des bouteilles de Bourbon vides aux goulots lubriques et un Yorkshire en tricot.


-pause estivale-




342

Nous sommes quelques uns, comme cela, à marcher toute la nuit dans la ville, à l’autre bout d’une corde que plus personne ne tend. On ne s’aperçoit pas. On ne se croise pas. L’écho de nos pas perdus résonne pour nous seuls sur les murs des maisons. 
Chacun se reconnaîtra. 
A quatre heures du matin, les rues du seizième font penser au fond froid des péniches. Puis l’aube vient. Les étoiles tombent et s’y noient. Moment de rejoindre les draps. Les moteurs qui s’éveillent ne font pas le même bruit pour celui qui s’endort. Sommeil froid.

*
C’est difficile de dire pourquoi on est triste.  

341

Des hommes massifs, pleins de chômage, pêchent au bout de la jetée de tous petits poissons qu’ils rejettent aussitôt. L’eau fait de l’huile, les poissons glissent entre les doigts et s’échappent parfois avant d’être libérés. Tard ces hommes rentrent chez eux, sous des casquettes qui sentent le chauve prochain, sur des vélos qui grincent. La lune sort alors, la jetée est une longue mâchoire noire aux dents d’écume.

*
Enfermé dans un Tupperware. Un vrai. Une affaire pour abricots secs ou amandes émondées. Déjà de l’extérieur coton à fermer, alors comment en sortir ?

340

Je passe l’été entier sous les porches des villes. Attendant la pluie. Attendant les filles qui viendraient s’abriter de la pluie parce qu’elles auraient oublié leur parapluie, ou parce qu’elles auraient envie. Attendant surtout le moment où sur le trottoir d’en face les jeunes veuves vont baisser leur rideau de fer.

*
La nuit je m’en vais dans les domaines de l’au-delà, j’y aide les chasseresses à franchir les murets de pierre. Pause à midi dans la clairière, 3 sources à l’orée du pré, un foyer de grosses pierres. Les corbeaux tournent dans le ciel comme des drones autour de la foule. Sur les braises le café de met à vibrer. Je sers. Dans mon dos, dans l’axe de tir, envol de canards sauvages dont on me croira complice. L’après midi est là maintenant comme un très long nuage. 

339

Callas, Casals
Ce n’est jamais une note pour rien
Danger à chaque son
Comprendre comment ils font
Ce qui est beau, c’est quand ils vous emmènent dans des zones oubliées
Ce qui est beau c’est quand on se penche vers l’invisible

Tu sors sur la terrasse
On y est déjà allé, dans ces espaces
On jouait aux osselets avec des copains de classe
On est pris dans les bras par des ramasseurs de pommes de terre
On y est déjà allé, dans ces espaces
On ne se souvient plus
Le lendemain ils ont disparu

La musique dit cela
Ce dont on ne peut pas se souvenir
Comment fait-elle pour passer d’une note à l’autre ?

L’une des deux au moins est un cri


*
Sobibor encore. La fille d’un survivant est là, très belle.
- Pourquoi fumez vous ?
- Laissez moi fumer.