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Si j’en crois les morceaux d’ongle, de cartilages, d’allumettes, les cendres de cigarettes et la trace des impacts de gouttes d’eau que je découvre à chaque fois dans ma purée de légumes, mon chinois est fourbe et cruel.

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Maintenant le vrai tour commence, maintenant il a commencé. J’en suis à la fois le peloton et l’échappé, le porteur d’eau et le leader, le niais et le dopé, le reporter et l’organisateur. Ils ont arrêté, et je pédale toujours. Avec cette chaleur succédant aux grosses pluies les spectateurs massés au bord de la route, essentiellement végétaux, sont chaque jour plus nombreux. Ils ne me regardent pas vraiment, ne vocifèrent pas mon paroxysme mais respectent mon sacerdoce, écartant sans avoir l’air d’y toucher leurs racines, libérant pour mes roues un espace où le bitume surchauffé vient me tracer la voie. Seuls les tournesols (sauf quelques rarissimes, merci Darwin) me tournent le dos, ou pire regardent plus loin et plus haut quand ils s’orientent vers moi : ceux là seront brûlés.
Ils ont arrêté, et je pédale toujours.

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Rimes regrettables :
Ainsi, il a broui ses églogues
Le burgonde qui inspira ce blog
Je regrette, je comprends, compatis,
Et je rigole un peu, aussi
Car enfin brûler ses textes n’a plus rien d’admirable,
C’est même devenu écolo-condamnable :
Les écrire déjà est un peu abusif
Les cramer carrément excessif :
Quel cas faites vous de l’effet de serre ?
Pourquoi faire fi du container
Où vos vers eussent été recyclables ?

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Etre, c’est continuer à être, penserait-on parfois à regarder la joggeuse dont les pieds caoutchoutés s’éloignent pour rien

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Cette fin de tour était interminable
Je me rêvais lové dans mon hamac
Je l’aurais suspendu en plein cœur du peloton
Derrière un tube de selle et devant un guidon
Et me serais allongé au profond du giron
Ecoutant sous mes fesses défiler le tarmac.

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Pour pouvoir pédaler jusqu’aux Champs-Élysées
En oubliant assez mes douleurs aux mollets
Il m’a fallu longtemps m’accrocher à cette fable
Dont les rimes pour une fois n’étaient pas regrettables.

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Lac gelé qu’aucune carte ne mentionne. Très Haute Altitude. La neige a été soufflée, la glace est d’une transparence incroyable et bleutée. L’himalayiste se penche et voit, un mètre sous la surface, son propre visage congelé, son propre visage qui le regarde, son propre visage épouvanté aux yeux écarquillés.
« Ce ne peut-être qu’un mauvais rêve », se dit Dabek. Et du bout des gants il referme ses yeux.


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A propos du n° 43 : le tour, hier, est repassé au même endroit 13 ans après. Le même auteur (c'est sans doute le même auteur !) avait cette fois tracé « JAJA » suivi du dessin d’un cœur. A quoi ressemblerait « Guerre et paix » ainsi reformaté après toutes ces années ?

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"Pour passer inaperçu, soyez toujours dans la foule", me disait mon instructeur de la DST. Je m’y suis mis. Il m’y a oublié.

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A propos du numéro 79 : ça y est, l’accident a eu lieu, l’autoroute hier était bloquée à hauteur du km 54, et mon barbu avait disparu.

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Les CSC attaquaient Evans et moi j’étais là, bien calé dans les bonnes roues. A un moment je me suis dressé sur les pédales, j’ai giclé, Menchov a voulu suivre et il est tombé, j’en ai remis une couche et la bande magnétique a cassé. Je n’en ai donc rien vu mais plus tard forcément j’aurais gagné.

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Aucune mention de ce qui précède dans les résumés officiels, ma victoire finale gommée, effacée, où va-t-on si même la réalité sportive est ainsi maquillée ?

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Contrepets mouillés :
Les bains assoient,
L’abeille coule

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L’autre jeudi je marchais dans une rue peu fréquentée. J’ai vu tomber le jour, j'avoue que j’ai continué comme si de rien n’était.

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"Après ce saucisson à l’ail, je ne parle plus à personne"
Dit la carpe prise au piège de l’hameçon où gigotait un lombric accommodé à ma façon

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Par lettre recommandée le restaurant Le Thabor, où s’écrivent quelques unes de ces miniatures, décline toute responsabilité sur ce qui précède et ce qui suit et, sans changer le prix, vient de substituer un « ou » au « et » entre fromage et dessert sur le menu qui m’est spécialement destiné et que l’on me tend désormais sans même m’accorder un regard.

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L’été
L’arbre
Loin au dessus
L’hirondelle d’acier bleui
sabre le ciel

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14 juillet.
Jour des français.
Jour où ils doivent briller.
Ca commence comme des rimes regrettables,
Et le reste est à l’avenant.
Car dès l’entame c’est Nico l’attaquant,

Bouygues-Bolloré-Lagardère-Dassault
C’est pas écrit sur son maillot
Mais ça lui donne envie d’foncer
Il creuse très vite un écart respectable.
Nous même on se prend à rêver
A l’union méditerranéenne
Et ses contrats en guise d’étrennes

Mais non. C’était trop beau
Le peloton est loin derrière
Mais il revient comme un scooter
Il est d’ogives en rang d’oignons
De chars Leclerc et de troufions
Et le nabot ne peut rien faire
Il se fait prendre comme un minot

La morale de cette histoire
C’est que bien sûr il n’y en a pas
Le grand vainqueur c’est Bachar
Et c’est la faute à Nicolas.

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Le pro, le pro, le professeur, le propro, le professeur bè, le professeur belge est bè, le professeur belge est belge.
(Et moi je suis bègue).

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Le célibataire ronflant
Se siffle en dormant

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Il lui a bien fallu naître et ça n’a pas été si facile, pour sa mère non plus, son père la regrettait toujours d’avant cette naissance là. Et puis le temps a passé, le bac, à un moment il a fallu faire un choix et ce fut un non choix, laisser pousser la barbe ça voulait dire laisser aller, et maintenant tous les soirs entre 18 et 19 heures il est sur le pont qui traverse l’autoroute A7 à son kilomètre 58, au dessus de la voie de gauche regardant les voitures qui remontent du sud, je vois chaque fois sa barbe mal tenue devenue poivre et sel et toujours cette même posture, appuyé sur la rambarde et sur la jambe droite avec la gauche simplement posée derrière sur la pointe du pied, et tous les jours ce type est là qui regarde passer l’absurdité du monde dont je fais partie et lui aussi mais pas pareil.

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L’air de rien ne faisant rien ce type change le monde, les véhicules évitent de passer sous lui on ne sait jamais, de fait sans qu’on le dise l’autoroute n’a plus que deux voies à cet endroit, ça perturbe le flux, un jour c’est statistique il y aura un accident et c’est peut-être ça qu’il regarde déjà.

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- Je crois bien qu’il y a un secret, dans la famille…Des gens souffrent sans savoir pourquoi... Tu sais, on peut en parler.... Pendant la guerre, sans doute ? Tu veux en parler ?
- La guerre ? Quelle guerre ?

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On ne m’a pas vu hier sur l’étape du tour. Merci de l’avoir remarqué. Le road-book n’annonçait absolument aucune côte mais pas fou, j’ai payé de ma souffrance pour savoir que s’aplatissent dans la Charente-maritime des cols bien plus redoutables que l’Izoard ou le Cormet de Roseland, et qu’ils se déploient comme par magie à peine entamés leurs premiers replats. Aussi ai-je prudemment fait demi-tour. De toute façon, le peloton a comme bien trop souvent escamoté ces obstacles comme s’ils n’existaient pas.

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Mon imprimeur (Cottet, à Carpentras) déclare agir pour l’environnement. C’est pourquoi même à compte d’auteur (et sous réserve de réponses positives aux nombreuses tentatives que je fis et ferai auprès d’interlocuteurs de toutes sortes) j’envisage de renoncer à tout projet éditorial hors le web. La lutte pour une asphyxie plus lente passe par des sacrifices individuels et artistiques de cette sorte. C'est en changeant nous même que nous changerons le monde.

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L’on me pardonne, paraît-il. Soit, mais qu’avais-je donc fait ?

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Ces arrivées à 3 ou 4 sont décidément les plus belles. La maîtrise tactique de Samuel Dumoulin hier, et l’effort paroxystique fourni par les 4 protagonistes tout au long des deux kilomètres finaux, ont produit un véritable chef-d’œuvre. Je dis cela, ce n’est pas seulement parce que j’ai roulé l’an dernier avec Samuel Dumoulin. Ce jour là j’ai voulu rester dans sa roue mais il est minuscule, impossible de s’abriter, j’ai vite plié les gaules. Je veux juste affirmer que si alors j’avais pu le suivre je ne l’aurais pas quitté jusqu’à cent mètres de l’arrivée d’hier, à Nantes, et là j'aurais produit mon effort...

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J’ai malheureusement manqué de jump pour le passer avant la ligne, je me suis même fait passer par le coureur américain… bv kjba:nkbjqxcbj !
Troisième d'une étape du tour de France, ce n’est pas si mal pour un coureur de quatrième catégorie FSGT. Mais bbbggjk :f SD§NJK ? ? , le champion qui sommeille en moi n'a pu s’empêcher, en franchissant virtuellement la ligne, de taper du poing sur le clavier comme s’il s’agissait d’un guidon. Quelle occasion manquée ! La victoire était si proche ! Un telle opportunité se représentera-t-elle un jour ? v cbb, bngxmh et bv n !

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Une énorme vague vient s’abattre sur le rivage comme une plume. Une énorme vague vient se poser à mes pieds comme l’oiseau envolé. Elle n’a laissé qu’un peu d’humide qui grésille sur l’éponge du sable mouillé. C’est la plage. C’est l’été.

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Aller vite, ça permet de se tromper plus tôt.

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Des choses petites, humbles, humaines, nourrissantes, rapportant peu, respectueuses des liens sociaux : voilà, insoupçonnable, l’avenir du CAC 40, qui vient de « tomber sous la barre des 4400 points ».

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Un oiseau passe, hésite à venir se poser sur mon épaule, va se poser sur un arbre plus loin.
Merci quand même, l’oiseau ! Et merci pour l’oiseau, l’arbre plus loin !

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Conditionnel Perec l’a fait, mais écrire tout un livre, un grand petit livre, au plus-que-parfait ?

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Le plus-que-parfait, chère madame, eût été votre parfait au miel. Uh ! uh !

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Rimes regrettables :
A force de broyer du noir l’aube vint
Du monde il ne restait plus rien

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Première luciole de l’été, impeccable dans son gilet fluo. Mais où diable a-t-elle fourré son triangle ?